Aux plus adultes que nous…

Avec le groupe Ados Approfondissement, nous avions en projet, avant le confinement, de créer un spectacle qui devait s’adresser « Aux plus adultes que nous ». Nous nous étions inspiré du texte du même nom de Samuel Gallet  pour commencer notre recherche créative. Certain·e·s avaient commencé à écrire des textes qu’ils allaient utiliser dans leur création. Ils n’ont pas été retravaillé, nous vous les livrons, brut, pour le plaisir et pour la postérité.

 

Voici cinq textes écrits fin mars début avril 2020 :

 

« Moi je pense que les leçons ça devrait être interdit. On travaille déjà assez toute la journée. Puis faut nous laisser tranquille aussi ».

 

« Je n’ai rien à dire au plus adultes que nous. »

 

« Je vous le demande à vous les plus adultes que nous, ce que c’est vraiment d’être adulte ? Est-ce simplement quand on est plus âgé ? Quand on semble plus mature ? Quand on a des enfants ? Ou tout simplement quand on se sent adulte ?

Et bah alors… vous n’avez rien à répondre ?! Peut -être parce que vous ne savez pas TOUT ! »

 

« J’ai toujours voulu écrire. Depuis que je suis toute petite. Mais je ne l’ai jamais fait. Au début, j’ai essayé. Mais les phrases que tu tournes et tu retournes encore et encore dans ta tête, quand elles sortent de la pointe de ton stylo, elles ne sonnent plus aussi bien. Elles sont trop courtes ou trop longues. Un mot ne convient pas, et aucun autre ne se propose pour le remplacer. Elles semblent ridicules, fragiles et inutiles. Alors j’ai arrêté. Cela n’a pas empêché les mots, les phrases et les questions de tourner et retourner dans ma tête. Quand il y en avait trop, je voulais à nouveau écrire. Mais je ne le faisais pas. Pas le temps… La belle affaire ! On peut toujours prendre le temps. On ferait mieux de le prendre plus d’ailleurs, au lieu de courir, courir, courir remplir les cases et nous précipiter vers la fin. Pas envie, fatiguée, autre chose à faire… En réalité, je pense que je n’osais pas. J’avais peur. Peur que mes phrases soient encore ridicules, peur qu’on me voit en train d’écrire, qu’on me juge ou qu’on me pose des questions, peur… Alors il y a eu des tentatives. Des moments où je me suis dit que j’allais commencer. Et au moment de commencer, je laissais tomber avant même d’ouvrir mon stylo ou d’allumer mon ordinateur. Et pourtant, aujourd’hui, j’écris. Parce qu’on me l’a demandé ? Peut-être. Mais je ne crois pas. Parce que ça a été aussi difficile de m’y mettre que d’habitude. Ça a probablement été un déclencheur, mais pas plus. Les mots se pressent et veulent sortir. Je crois qu’une nouvelle peur a remplacé la première. Une peur plus profonde, presque viscérale. J’ai peur que si je n’écris pas maintenant, tout de suite, dans l’instant, alors je ne le ferai jamais. On me fera taire, on me mettra dans le moule, et mes mots s’éteindront avant même d’avoir pris corps. Des mots… Il y en a tellement.
Maintenant que j’ai commencé à écrire, je ne sais pas où ça va me mener. Par ici ou par là, quelle importance ? Tout ce que je sais, c’est que je ne pourrai plus m’arrêter. On dit parfois qu’écrire, c’est faire du tri dans ses pensées. Pour moi, pas du tout. Au contraire, une fois lancée, je ne peux plus m’arrêter. Tellement de choses à dire, à écrire et à vivre. Quand je prends mon crayon, toutes les pensées que je rangeais au fond de mon esprit remontent à la surface, m’emplissent toute entière, jaillissent, tourbillonnent et se pressent. J’aurai tellement de choses à dire, de sujets à évoquer, de questions à poser,… Une pensée en entraîne une autre, puis une autre, et encore une autre. Bien sûr, je ne peux pas toutes les saisir au vol : certaines sont trop rapides, trop fugaces, elles ne font que passer. Si je pouvais toutes les attraper et les coucher sur le papier, je remplirai des carnets entiers. Alors je vais laisser leur fil se dérouler, et elles vont s’échapper, s’évader, s’envoler. Parfois, je me demande comment font la plupart des gens pour être aussi silencieux et indifférents. Peut-être suis-je la seule à avoir des pensées dansantes et tourbillonnantes. Peut-être que vous, les autres, vous arrivez à les ranger, à les classer et à les enfermer au fond des tiroirs de votre esprit. Moi, je ne peux pas.
Mais qui suis-je, moi ? Qui suis-je pour vous parler comme ça ? Je ne suis personne et tout le monde à la fois. Je suis comme n’importe qui. Je ne suis pas meilleure que vous (comment pourrais-je l’être ?) : j’ai beau prendre part à des manifestations pour soutenir mon opinion, pour la protection du climat par exemple, j’aime prendre de longues douches bien chaudes, je porte des vêtements fabriqués en Asie et j’adore conduire. J’ai beau manger bio et local, je consomme beaucoup d’emballages, je gâche des choses et je ne veux pas me passer de certaines futilités, comme des costumes, des ballons d’anniversaire ou des affiches en papier. Même si elle me pose question, sans l’avoir choisi je fais partie de la société de consommation. Au fond, j’aime mon confort de petite française privilégiée, parce que c’est tellement plus facile de ne pas y renoncer. Je ne voudrais pas me retrouver quelque part dans un bidonville, avec moins que rien. Au quotidien, ça ne me pose aucun problème de pisser et de chier dans de l’eau potable, et je ne vois pas pourquoi cela m’en poserait : j’ai toujours vécu comme cela.
Je suis comme tout le monde, taper un nombre sur un clavier d’ordinateur permet de retrouver toutes les informations sur moi et quand on m’a dit de cocher des cases pour déterminer ma vie, ça a été difficile car pour moi, mon avenir est un chantier en construction, qui se construit au jour le jour, mais je l’ai fait sans protester et je suis rentrée dans l’algorithme.
Pourtant si je vous dis tout ça, c’est parce que je me pose des questions justement. Parfois, j’ai l’impression que tout le monde est aveugle et sourd. J’ai envie d’appeler ça le syndrome des gens heureux. Ou bien la stratégie de l’autruche. Les deux me paraissent appropriés. Nous, tous autant que nous sommes, que nous soyons cadres supérieurs ou clochard, nous faisons partie de la société qui nous a donné une étiquette que nous respectons. C’est facile d’être cadre supérieur, il faut juste se comporter comme un cadre supérieur. On se fiche de ce que tu aimes, ce que tu n’aimes pas, ce que tu aurais aimé faire, voir et découvrir, contente-toi d’être un bon cadre supérieur. Et on se contente de ça. Nous sommes bien à l’aise dans notre petite vie bien rangée et bien étiquetée, nous ne savons rien et ne voulons même pas imaginer ce qu’il y a ailleurs. Nous préférons être de bonnes petites autruches bienheureuses, alors nous fermons les yeux et nous nous concentrons sur notre petit bien-être individuel. Je me demande pourquoi. Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Je crois que la crise que nous sommes en train de vivre est un symptôme de ce comportement d’autruche. Pendant des dizaines d’années, nous savions que des gens mourraient de soif et de faim ailleurs sur la planète, et nous ne nous sommes jamais rationnés. Mais là, quelque chose vient compromettre notre bien-être et notre société si efficace ? Prenons des mesures ! Il faut se confiner, s’enfermer, surtout ne plus échanger. Après tout, c’est un problème grave. Mais il n’y en avait pas, avant celui-là, des problèmes ? La faim, la soif, les catastrophes naturelles, la pollution, la pauvreté, et des tas d’autres choses encore, qu’est-ce que c’était ? Des piqûres de moustique sur le dos de notre bonne vieille société. Tant que ça ne nous gêne pas, pas besoin de nous en inquiéter. En vérité, ce qui me fait le plus trembler, avec ce virus, ce n’est pas la maladie en elle-même. Ce qui me fait vraiment peur, c’est plutôt le fait qu’un mec, un seul, là-bas, au loin, a dit « on confine » et les vies de plus de 60 millions de personnes ont été suspendues. Ce mec, là-bas, il a vraiment le pouvoir de nous enfermer chez nous, de nous dicter notre conduite, de nous priver de nos libertés en un mot ? Ça, c’est terrifiant.
Bref. Je ne sais même pas à qui je m’adresse en écrivant tout ça. A vous tous, peut-être. Si vous m’écoutez. Aux plus adultes que moi, certainement, même si je pense que certains qui sont plus jeunes que moi sont plus adultes que moi. Aux moins adultes, aussi, pour leur crier gare. J’espère que je ne le suis pas trop, et que je ne vais pas trop le devenir. Pour moi, être adulte, ce n’est pas un signe de maturité, c’est la fin du vivre. Pour moi, être adulte, c’est rentrer dans une case, accepter une place dans la société, et puis rassembler ses pensées pour les jeter, au fond d’un tiroir ou même à la corbeille, et ne conserver que le nécessaire pour remplir son rôle, être normal, efficace, productif, et surtout rester dans sa case, sans dépasser d’un doigt de pied. Pour moi, être adulte, c’est configurer son cerveau pour qu’il corresponde à l’étiquette qu’on se colle sur le front.
Je ne veux pas choisir d’étiquette, je ne veux pas m’enfermer dans une case, et surtout je ne veux pas réfréner mes pensées. Ce sont elles qui font que je suis quelqu’un, et grâce à elles je veux vivre. Le monde serait peut-être plus beau, si on ne mettait pas nos pensées derrière les barreaux. »

 

 » Parfois, je me dis qu’on n’y arrivera jamais. Que c’est sans espoir, que le monde est foutu et qu’on va tous crever. Alors à quoi bon faire des efforts ? Autant profiter de notre confort d’individus privilégiés au sein d’une société capitaliste, et laisser mourir la Terre et les Hommes. Parce que, au fond, qu’est-ce qu’on peut faire pour eux ?

C’est si simple de juste décider de baisser les bras. De décider de ne pas décider. De laisser ça aux autres, pour s’alléger de ce poids qu’on a sur les épaules. De dire qu’on n’a pas le temps, pas les moyens, pas l’énergie… qu’on s’y mettra plus tard. Ou même qu’on sait qu’on ne fait rien pour aider mais que ça ne nous empêche pas d’être engagé et de vouloir le bonheur universel.

Mais c’est de l’hypocrisie. De la mauvaise foi. Et parfois, souvent, j’ai peur d’être hypocrite. De ne pas faire assez, pas grand-chose, voire rien du tout.

En fait, c’est peut-être parce que je ne sais pas par où commencer. Peut-être que si on décidait tous ensemble de ce qu’on devrait faire pour sauver la planète et l’humanité, ça règlerait le problème. Si la protection de l’environnement et le respect des Hommes devenaient de véritables lois, si on nous les apprenait à l’école en nous expliquant à quel point c’est important, nous nous mettrions peut-être tous à réellement agir. Je sais qu’il y en a déjà, des lois. Mais pas assez. Et ce n’est pas pour nous priver de notre liberté que j’en demande ; c’est pour la sauver.

Je crois que c’est vrai, que les plus adultes que nous ont fait des erreurs. Des erreurs graves, qui ont mis en péril notre avenir, à nous les plus jeunes, et à ceux qui sont et seront plus jeunes que nous.

Mais on ne peut pas retourner en arrière. Alors il faut qu’on se serre les coudes et qu’on agisse ensemble. Il faut cesser de s’en vouloir et trouver les vrais coupables, qui continuent de détruire notre avenir. Et lorsqu’on rencontre des gens qui ne comprennent pas, il faut leur expliquer, pour qu’ils réalisent l’ampleur de problème. S’ils nous disent qu’ils sont trop vieux pour tout ça, ou que nous nous sommes trop jeunes pour comprendre, on peut leur répondre qu’il n’y a pas d’âge pour être humain.

Et quand on aura réussi, on écrira une lettre aux plus jeunes que nous, dans laquelle on leur rappellera de toujours penser aux plus jeunes qu’eux avant d’agir. »